dimanche 16 avril 2017

Queer British Art (1861-1967) à la Tate Britain

Vacances à Londres et ciel gris, cela rime pour moi  avec expositions...
Nouvelle visite très rapide de l'exposition "David Hockney". Week-end de Pâques oblige, il y a encore plus de monde que lors de ma première visite.
J'en ai donc profité pour aller voir "Queer British art", toujours à la Tate Britain. 
                              
Des préraphaélites à Bacon et Hockney, l'exposition commémore les 50 ans de la loi de 1967 qui met fin à la criminalisation de l'homosexualité masculine en Angleterre et au Pays de Galles (la peine de mort ! est abolie en 1861 mais les peines de prison pour les "sodomites" persistent jusqu'à la fin des années 60- cf. Oscar Wilde...). Elle met donc en scène des destins tragiques (celui de Simeon Solomon par exemple), mais aussi une homosexualité de l'élite, notamment féminine (non criminalisée en dépit d'une tentative au début des années vingt), qui est revendiquée depuis plus longtemps (cf. la photo de Cecil Beaton de 1927).
                                     
Rex Whistler, Cecil Beaton, Georgia Sitwell, William Walton, Stephen Tennant, Teresa Jungman, and Zita Jungman @Cecil Beaton, 1927. 
Comme c'est un sujet que je connais mal et que forcément se mêlent des styles picturaux très différents (des préraphaélites à Keith Vaughan), j'ai lu en rentrant plusieurs articles critiques.
Simeon Solomon, "Sapho and Erinna in a garden at Mytilene", 1864, @Tate Britain
Keith Vaughan, Ninth Assembly of Figures (Eldorado Banal), 1976 @ The estate of Keith Vaughan
On salue généralement cette première exposition majeure d'un grand musée sur le sujet. Il faut aussi dire que les deux Tate exposent ou ont récemment exposé des oeuvres d'homosexuels comme Hockney, Rauschenberg, Tillmans et qu'il y a également en ce moment à Londres une exposition Hodgkin et une exposition avec des photos de Claude Cahun (National Portrait Gallery).
David Hockney, Life painting for a diploma, 1962, Collection privée (vendue chez Sotheby's en 2007) @David Hockney

Mais certains critiques posent la question du côté fourre-tout de l'exposition et de l'existence réelle d'un "art queer"; l'oeuvre d'artistes comme Hockney ne pouvant se définir uniquement à travers son identité sexuée, même si celle-ci est évidemment fondamentale. Ils interrogent aussi l'identité sexuelle de Lord Leighton par exemple. Ces critiques reprochent également l'absence de certains artistes homosexuels, alors qu'il y a une salle avec des oeuvres d'artistes non homosexuels ("Defying society"). Il s'agit en fait d'oeuvres qui font scandale en remettant en cause une vision hétérosexuelle de la société (notamment des peintures de Laura Knight, Dorothy Johnstone ou William Strang).


 Dame Laura Knight, autoportrait, 1913. 

 Dorothy Johnstone, Rest time in the Life Class, 1923. 
"Defying Conventions".  Photographie prise dans l'exposition par @artlyst.
William Strang, Lady with a red hat, 1918, Glasgow museums. 
Le conservateur responsable de l'exposition (Clare Barlow) répond à ses détracteurs qu'il a cherché à mettre en valeur une identité spécifique, que peut notamment exprimer le bouquet de fleurs de Gluck (Hannah Gluckstein) peint lorsque qu'elle vient de rencontrer son amante qui était fleuriste... D'où l'absence de certains noms...
Gluck (Hannah Gluckstein), Lilac and Guelder Rose, 1937, @ Manchester Art Gallery
J'avoue qu'avec la salle sur "Bloomsbury ("Painting in circles and loving in triangles") and Beyond" qui s'imposait, et celle sur David Hockney et Francis Bacon (même si ce ne sont pas forcément des oeuvres majeures des deux peintres - celles d'Hockney étant dans l'exposition voisine), la salle "Defying conventions" est une des salles que j'ai préférées. Mais d'autres oeuvres m'ont aussi touchées comme celles de Christopher Wood, Tulke ou de John Craxton par exemple.
 Christopher Wood, The Wrestlers, Collection privée (vendu en 2014 par Christie's) et Henry Scott Tulke, The Critics, 1927, @ Warwick District Council
Francis Bacon, Seated Figure, 1961, @ Tate
John Craxton, Head of a Greek Sailor, 1940, @ estate of John Craxton 
Mais pourquoi ne pas avoir mis le très beau portrait d'Edward Carpenter par Roger Fry ou le Sargent avec les oeuvres du groupe de Bloomsbury ? Je comprends bien l'intérêt de la représentation d'homosexuels revendiqués å la fin du XIXe siècle (le portrait en pied d'Oscar Wilde par Robert Goodloe Arthur Pennington côtoyant sa porte de prison), mais il me semble que sur ce thème de "Public indecency", une salle entière aurait pu être dédiée à Oscar Wilde. 
Robert Goodloe Arthur Pennington, Oscar Wilde, 1881
@ Willima Andrew Clarck Memorial Library. 
Photographie de la salle de l'exposition avec la porte de prison d'Oscar Wilde (photo @ artlys).  






Roger Fry, Portrait of Edward Carpenter, 
1894, @National Portrait Gallery.


Duncan Grant, Erotic Embrace. 
Ducan Grant, Portrait of Paul Roche, 1946, @ Tate
Duncan Grant, The Bathing, 1911, @ Tate Britain
Sur ce sujet foisonnant, même si l'exposition progresse plutôt chronologiquement des années 1860 aux années 1960 (avec 3 salles sur les années cinquante et soixante), on a parfois un peu l'impression, que la direction prise par le conservateur hésite entre les groupes et les écoles de peinture (le groupe de Bloomsbury, les préraphaélites) et des idées plus transversales (la mise en scène théâtrale de l'homosexualité par exemple - Theatrical types) ou la salle consacrée à la culture queer à Soho et aux néo-romantiques ou "Arcadiens" (Arcadia and Soho).
Dora Carrington, Lynton Strachey, 1916, @ National Portrait Gallery
A mon sens enfin, l'un des intérêts de cette exposition est aussi paradoxalement de mettre en valeur de très nombreuses artistes britanniques féminines du XXe siècle (Laura Knight, Dora Carrington, Dorothy Johnstone, Ethel Sands, Gluck...). Il manquerait Vanessa Bell à qui la Dulwich Gallery consacre une exposition complète. 
Pour ceux qui veulent se faire un avis plus approfondi, une sélection d'articles sur l'exposition :
https://www.theguardian.com/artanddesign/2017/apr/03/queer-british-art-review-tate-britain#img-2






et plus précisément :
Sur Bathing de Duncan Grant : 
Sur Paul Roche : 
Sur le portrait d'Oscar Wilde : 
Photographies des tableaux sur : 
et les articles de la Tate :

Chronologie (traduction de la chronologie du programme de la Tate) :
1861 : L'"Offences Against Person Act" abolit la peine de mort pour sodomie.

1885 : "Gross indecency" (toutes activités sexuelles entre hommes) devient un crime.

1895 : Oscar Wilde est condamné à deux ans de travail forcé pour "gross indecency".

1921 : On essaie d'étendre aux femmes la loi sur l'indécence. C'est cependant rejeté par la Chambre des Lords sur le motif que les femmes ne savent pas ce qu'est le lesbianisme.

1928 : Radclyffe Hall's. The Well of Loneliness est publié. Il fait aussitôt l'objet d'un procès qui paradoxalement augmente la connaissance du lesbianisme auprès du public.

1951 : Roberta Cowell (1918-2011) est la première femme trans à faire l'objet d'une opération chirurgicale et à changer son certificat de naissance au Royaume-Uni.

1957 : Le rapport Wolfenden est publié après une succession de condamnations sévères pour "Gross indecency". Il recommande une décriminalisation partielle de l'homosexualité en privée entre adultes consentants.

1967 : Le "Sexual Offences Act" est voté. Il inclue une décriminalisation partielle de l'homexualité privée et fixe l'âge du consentement en Angleterre et au Pays de Galles à 21 ans.