mardi 17 janvier 2017

Paul Nash Exposition à la Tate Britain (Jusqu'au 5 mars 2017)

PAUL NASH

26 octobre 2016 - 5 mars 2017
TATE BRITAIN

Un jour très ensoleillé on regrette sans doute que les salles d’exposition de la Tate Britain n’aient aucune ouverture (elles sont en sous-sol). Mais il pleuvait ce dimanche et l’enfermement du lieu convenait parfaitement aux oeuvres de Paul Nash (1889-1946). 

Paul Nash est d’abord et avant tout un peintre paysagiste. Mais les paysages prennent avec lui une toute autre dimension. Ils sont à la fois une empreinte personnelle de son parcours pictural et biographique, et des miroirs très britanniques de son époque. L’exposition de la Tate Britain (jusqu’au 5 mars 2017) qui suit un parcours chronologique dissimulé sous des choix thématiques à mon sens exemplaires, le montre parfaitement. De l’ancrage britannique de son oeuvre découle tout d’abord la provenance des tableaux (ceux de la Tate, de l’Imperial War Museum et d’autres galeries ou musées britanniques voisinent avec quelques toiles de collections privées).

La première petite salle de l’exposition nous fait entrer dans le monde de Paul Nash à travers des vergers, des forêts, des paysages un peu étranges tracés à l’encre et l’aquarelle (The Pyramids in the sea, 1912), nés pour la plupart avant la guerre. 
The Pyramids in the sea, 1912 @Tate. 

Elle s’intitule « Dreaming trees » et se termine par cette oeuvre terrible de 1917 où il montre un verger de cerisiers alignés, dénudés et enfermés par des barbelés (The Cherry orchard, 1917). L’oeuvre date de la convalescence de Nash blessé à Ypres quelques semaines après son arrivée au front. Il ne fait évidemment aucun doute qu’elle est une métaphore de la courte expérience des premières lignes de ce Britannique engagé dans la guerre dès 1914. 

The Cherry orchard, 1917. Collection privée. Photo @Tate 
Elle ouvre d’ailleurs sur une grande salle où figurent des oeuvres plus importantes, à l’huile. Après sa convalescence, à partir d’octobre 1917, Nash est devenu un peintre officiel de la guerre. Sa palette très nuancée devient alors sombre, boueuse et presque criarde, comme dans « Wounded, Passchendaele » (1918) par exemple. Je préfère les toiles où il dépeint une tranchée en souvenir de sa compagnie décimée en août 1917, alors qu’il était encore en Angleterre (Spring in the trenches. Ridge Wood, 1917-1918) ou  « We are making a new world » qui a été exposée pendant la guerre (Leicester Galleries). Cette période lui apporte une reconnaissance supplémentaire. La même oeuvre fait ainsi la couverture d’un numéro de la série British artists at Front, dont le titre est cependant censuré. 


Wounded, Passchendaele, 1918 @Manchester City Galleries
Photo@artuk.org



Spring in the trenches. Ridge Wood, 1917-1918, @IWM
Photo@artuk.org



















We are making a new world, 1918, @IWM
Même monumentales et adaptées aux exigences nationales du Royaume-Uni d’après guerre (« The Menim road », 1919 »), ces oeuvres s’éloignent de la délicatesse des aquarelles du début, laissant de côté les fines hachures et la thématique vorticiste. Elles sont devenues pour Nash (qui a certainement éprouvé un « shell shock »), des « attestations de certaines violentes expériences émotionnelles ». 

Dans le début des années vingt, Nash se réfugie dans le Kent (Dymchurch) où ses paysages très géométriques portent encore le souvenir des tranchées, même si sa palette s’est radoucie (The shore, 1923, Leeds art gallery). Dépressif, il continue de décrire ses émotions (Walk against the sea, 1922, Collection privée, Winter sea, 1925-37, York Museums Trust - York Art Gallery). Puis si les paysages côtiers des années trente conservent cette géométrie en ordre de bataille, le calme l’emporte peu à peu sur la tempête et les couleurs deviennent presque gaies (The Rye Marshes, 1932, Hull Museums). La Tate Britain intitule joliment cette série d’oeuvres, « Places ». 
Winter sea, 1925-37, @York Museums Trust (York Art Gallery). Photo @artuk.org
The Shore, 1923, @Leeds art Gallery. Photo @artuk.org
The Rye Marshes, 1932, @Ferens Art Gallery: Hull Museum
Avec les oeuvres des deux salles suivantes (« Rooms and book », « Unit One »), Nash semble renouer avec le reste du monde. On sent l’influence des courants artistiques européens (de Chirico) qu’il reçoit d’abord en lisant des revues artistiques, et celle de ses contacts plus fréquents avec la jeune génération d’artistes britanniques comme Henri Moore, Ben Nicholson, Barbara Heptworth, Tristam Hillier avec qui il recommence à exposer en 1927. On le voit alors explorer différentes techniques, même si ce ne sont sans doute pas ses toiles les plus réussies (Dead spring, 1929, Chichester ou The Diving stage, 1928, British Council collection).
C’est avec ce groupe de jeunes artistes qu’il s’engage dans les années trente pour promouvoir l’art et le design britannique (Unit one fondé en 1933). Les toiles de Nash sont alors encadrées par une sculpture de Barbara Hepworth qui penche du côté de Moore ( Mother and son, 1934, Tate), ou des toiles de Ben Nicholson, avec qui il a étudié l’art (Milk and chocolate, 1933, Private collection) ou Tristam Hillier (Pylones, 1933, Scottish Gallery of Modern Art). 
Dead spring, 1922, @Pallant House Gallery, Chichester. Photo @artuk.org
Ben Nicholson, Milk and Plain Chocolate, 1933, Collection privée (prêt à la Tate Britain durant l'exposition).
Tristram Hillier, Pylons (1933), @National Gallery Scotland.
Barbara Hepworth Mother and son, 1934, @Tate
Le parti pris surréaliste de Nash s’affirme de plus en plus au cours des années trente, comme le montre la salle suivante. Il est alors installé à Swanage et explore la côte jurassique du Dorset, faisant intervenir des éléments minéraux dans ses collages et sa peinture. Comme ce fossile en forme de défense d’éléphant que l’on retrouve dans plusieurs oeuvres de cette époque et même après (In the marshes, 1938, Tate). Dans Moon, aviary (1937). Il mêle les matières (le cèdre, l’ivoire et la pierre) pour créer une construction onirique  qui semble surgie de l’environnement. On peut aussi citer : Forest (1936-37), ou Wood glove stretchers (Leeds museum), et Equivalents for the megaliths (1935, Tate). Le dialogue artistique qu’il entame avec son amie Eileen Agar est constant, même si les oeuvres de cette dernière me semble plus « futile ». Peut-être est-ce une mauvaise impression de déjà vu face à ce crâne peint et serti de boutons ? A cette période, totalement engagé dans la reconnaissance sociale du surréalisme, il participe alors  à l’exposition de Londres de 1936, dont il est même l’un des conservateurs. 
In the Marshes, 1938, @Tate
Eilleen Agar, Human skull painted gold and decorated with small seashells (1924) @Tate 
Landscape from a dream, 1936-1938, @ Tate. Photo @artuk.org
Lansdcape of the Megalith, 1934, @British Council collection. Photo @artuk.org
Equivalents for the Megaliths, 1935, @Tate, Photo @artuk.org
Photo de groupe et affiche de la première exposition surréaliste internationale. Burlington Galleries, London 1936. 
Nash est un peintre dont l’oeuvre est marquée, encerclée même par les deux guerres mondiales. Il y a participé comme combattant. Aux tranchées géométriques de la Première, répondent les amas de ferrailles des avions de la Seconde (Totes Meer. Dead sea, 1940). La mort reprend alors le devant de la scène (la série Aerial), même s’il écrit : « C’est d’elle que j’ai parlé depuis tout ce temps ». 

Mais curieusement, dans certaine des toiles des années quarante, les couleurs deviennent plus gaies, plus vibrantes. La palette ocre du Dorset prend de plus en plus des teintes roses et orangées surprenantes. Plusieurs des dernières oeuvres évoluent vers plus d’abstraction (Landscape of the Bagley Woods, 1943, City of Swansea ou Landscape of the Moon's last phase, National Museum of Liverpool, 1944), tandis que d’autres sont plus symbolistes (Eclipse of the Sunflower, 1945). L’étrangeté déprimée de son monde prend encore d’autres tonalités. Il meurt au sortir de la guerre de complications liées à l’asthme, à 56 ans. 
Battle of Germany, 1944, @IWM, Photo @artuk.org
Cumulus Head, 1944. Collection privée (prêtée à @Tate Britain). 
Landscape of the Moon's last phase, @National Museums Liverpool, Walker Art Gallery
Landscape of the Bagley Woods, @City and Council of Swansea. Photo @artuk.org
Eclipse of the sunflower, 1945, @British Council Collection Photo@artuk.org
La palette subtile et changeante de Nash est bien mise en valeur par les couleurs des murs de l’exposition qui varient délicatement d’une salle à l’autre en s’adaptant aux thèmes proposés. 





Un seul petit regret à propos de cette belle exposition : la qualité très médiocre des reproductions du catalogue où ces couleurs ont comme été passées dans un bain d’eau javellisée. 

Pour approfondir le propos sur l’exposition : on trouve notamment (en anglais) plusieurs critiques dans le Guardian  (Adrian Searle, Laura Cumming, Paul Laity, un article sur la période de Swanage par Jane Ure-Smith et un article moins enthousiaste dans le Telegraph (Mark Hudson). 


@Rachel Mazuy