vendredi 17 février 2017

Revolution. Russian Art 1917-1932 à la Royal Academy of Arts de Londres

Affiche de l'exposition de la Royal Academy
représentant la toile de Boris Kustodiev, Le Bolchevik, 1920, @Galerie Trétiakov
Quelques jours avant le vernissage de l’exposition Revolution. Russian Art. 1917-1932, qui se tient à la Royal Academy of Arts de Londres (17 février-17 avril 2017), j’ai lu un article  du Guardian de Jonathan Jones intitulé « We cannot celebrate Russian Art - It is brutal propaganda » 
(https://www.theguardian.com/artanddesign/jonathanjonesblog/2017/feb/01/revolutionary-russian-art-brutal-propaganda-royal-academy).
Boris Kustodiev, Manifestation sur la Place Ouristsky le jour de l'ouverture du 2e Congrès du Kominter en juillet 1920, 1921
@Musée russe d'Etat de Saint-Pétersbourg
Le propos me semble erroné, ou en tout cas relever d'une paresse intellectuelle insigne. 
Que dit l’article ? En résumé, l’auteur pense qu’une telle exposition ne peut se justifier car c’est de la pure propagande et que, eu égard aux millions de morts liés à la Révolution russe, il vaut mieux passer sous silence l’art soviétique de cette période. 
Pour lui, on n’oserait pas faire la même chose pour l’art nazi. 
La première salle de l'exposition avec la sculpture de Véra Moukhina, La Flamme de la Révolution, 1922-23, @Galerie Trétiakov et Nicolas Terpsikhorov, Premier slogan, 1924, @Galerie Trétiakov. Sur la banderole "Tout le pouvoir aux Soviets". 
On pourrait discuter longuement sur l’esthétique de l’art nazi, ce que je ne ferai pas ici, n’étant en rien une spécialiste. 
Mais je me souviens avoir vu à la Hayward Gallery de Londres une splendide exposition sur l’art et le pouvoir dans les années trente (« Art and Power : Europe under the Dictators, 1930-1945 », 1995), où les deux fascismes étaient évidemment représentés aux côtés de l’URSS (http://www.independent.co.uk/arts-entertainment/they-were-only-obeying-orders-1580033.html)
Page du catalogue de l'exposition de la Hayward Gallery
On peut aussi citer l’exposition coordonnée par Laurence Bertrand Dorléac sur « L’Art en guerre. France (1937-1947). De Picasso à Dubuffet» (au MAM à Paris) qui tenait le même parti pris que celui de la Royal Academy. En effet, aux côtés des œuvres clandestines et de celles faites dans les camps par des artistes antifascistes, on trouvait également toute la production officielle célébrée, autorisée, ou impulsée par les Allemands occupants et par le pouvoir de Vichy (http://www.mam.paris.fr/fr/expositions/exposition-lart-en-guerre-france-1938-1947)
Affiche de l'exposition "L'art en guerre", @MAM. 

Par ailleurs, en tant qu’historienne, je ne peux qu’être surprise par cette assertion, pour plusieurs raisons. 
Tout d’abord il est clair que l’auteur n’a pas vu (et ne veut pas voir l’exposition - il termine en disant que pendant que le Morning star fera une critique dithyrambique, lui pensera aux millions de koulaks assassinés). Or, s’il l’avait vue, il se serait rendu compte que les conservateurs sont loin d’avoir oublié le contexte historique qui préside à la création des œuvres. 
Ils soulignent notamment largement le fait que parmi les artistes exposés et leurs modèles (en particulier les intellectuels du régime comme Meyerhold) beaucoup ont évidemment été confrontés à la politique du régime, aussi bien sur le plan artistique que sur le plan humain, et qu’une partie l’ont payé de leur vie. 

L’exposition se termine d’ailleurs sur une note grave. Dans la dernière salle, une sorte de grand cube noir est placé au milieu de la pièce. Il s'agit de la "pièce de la mémoire". Quand on entre à l’intérieur, tout semble noir sauf les bancs blancs. On voit défiler les photos de Soviétiques (artistes et personnes « ordinaires ») le jour de leur exécution, avec leur nom, leur profession la date de leur arrestation et  celle de leur mort. 
Parmi les intellectuels liés aux arts visuels qui sont morts assassinés, Nikolaï Pounine mort en camp près de Vorkuta en 1953, quelques mois après le décès de Staline. Arrêté pour la troisième fois (en 1921 et dans les années trente au départ), il avait été condamné en 1949 pour avoir dénoncé la médiocrité de nombreux portraits de Lénine. On l’apprend en regardant le portrait de sa femme, la poétesse Anna Akhmatova, réalisé par Kouzma Petrov-Vodkine en 1922. 
Anna Akhmatova, 1922, @Musée russe d'Etat de Saint-Pétersbourg
Le petit guide de la RA nous dit également que Pounine* avait été le commissaire de l’exposition de Leningrad de 1932 ; une exposition charnière qui sous-tend celle de la Royal Academy. Il est également présent à travers ce beau portrait postérieur à 1932. 
Kazimir Malevitch, Portrait du critique d'art et conservateur Nikolaï Pounine, 1933
@Musée russe d'Etat de Saint-Pétersbourg
Pour s’en convaincre encore, on peut citer le début de l’article du catalogue de l’exposition sur Kazimir Malevitch : « Le peintre Kazimir Malevitch fut arrêté en 1927 à son retour d’un voyage en Allemagne et en Pologne. Il fut libéré après quelques jours d’interrogation, mais se trouva désormais pris au piège entre le succès et l’échec. » (John Miller - notre traduction). 

L’objectif des conservateurs n’est donc évidemment pas de célébrer la propagande soviétique, ni de justifier son existence, mais bien de refléter la diversité de l’art soviétique au début des années trente, en partant d’œuvres qui avaient été montrées en 1932 à Leningrad lors de la grande exposition «15 années des artistes de l’Union soviétique » .  Ce sont plus de 2600 œuvres qui avaient été exposées dans 45 salles alors, contre 200 à Londres. Ce tournant esthétique majeur marque la réunion de tous les courants artistiques antagonistes des années vingt et du début des années trente, avec la volonté officielle de les réunir sous un seul drapeau, qu’on appellera « réalisme socialiste » (si la notion apparaît dès 1932, elle est formalisée en 1934 autour du Congrès de l'Union des écrivains soviétiques, même si le terme d’ « art soviétique » continue à être privilégié). L'exposition de 1932 semble marquer la fin des discriminations entre les artistes prolétariens de l’Association des Artistes de la Russie révolutionnaire (AKhR) et ceux qu'on appelle des "compagnons de route". L'année suivante, dans trois lieux différents, les autorités encadrent à Moscou une nouvelle exposition qui apparaît comme une revanche de l'AKhR contre les autres groupes d'artistes. la lutte contre "le formalisme" reçoit le soutien des autorités (Cf. Cécile Pichon-Bonin, Peinture et politique en URSS. L'itinéraire des membres de la Société des artistes de chevalet, les presses du réel, 2013, p. 253-276). 

Les conservateurs de la Royal Academy s’attachent donc à restituer en partie la première exposition (notamment la salle où Malevitch avait pu réunir une partie de ces œuvres) en interrogeant la double liberté de l’artiste face au pouvoir, dans l’URSS stalinienne du début des années trente. 
A gauche : la salle Malevitch de l'exposition de la RAA
A droite : Malevitch dans la salle d'exposition qui lui est consacrée en 1932. 









Pour ce faire, au lieu d’adopter un point de vue chronologique comme cela avait été le cas en 1932, où on insistait aussi sur les créations des différents groupes, les conservateurs ont préféré utiliser des thématiques qui étaient celles de l’URSS du premier plan quinquennal : Le culte des dirigeants ("Salute the leader"), l’Homme et la Machine, un Nouveau monde, La paysannerie (la salle est en fait appelée « Le destin des paysans »), l’Utopie stalinienne (où la trame du sport domine). Il manque encore des thèmes comme «La femme et l’enfant» et « Les peuples de l’URSS ». Mais, il y a bien deux salles "chronologiques" reprenant deux thèmes de 1932 : "Le Communisme de guerre" et "La Nouvelle politique économique". Les commentaires affichés à l’entrée des salles ou à côté des tableaux, sont d’ailleurs plus historiques (on pourrait presque croire à un cours du secondaire) que véritablement esthétiques, comme s’il fallait expliquer aux visiteurs l’histoire de l’URSS avant de donner à voir les créations artistiques. 

Deux salles concernent deux des sept artistes à qui l’exposition de 1932 avait fait la part belle : outre Malevitch, Kouzma Petrov-Vodkine, le président de l’Union des artistes de Leningrad en 1932 a aussi droit à sa salle propre, même si ce n’est pas une reconstitution (on n’a pas assez de clichés de 1932). C'est en ouvrant le catalogue qu'on peut réellement voir des photographies datant de 1932 (en dehors d'un cliché de la salle Malevitch) et la mise en scène de l’époque. Dans ces photographies en noir et blanc, si les accrochages multiples et les drapeaux et voilages rouges de 1932 ne surprennent pas, les arrangements de verdure (qu’on retrouve par exemple dans la mise en scène des corps des défunts lors des enterrements) paraissent plutôt singuliers. 
L'exposition de Londres reconstitue aussi l'appartement conçu pour les logements du Narkompross par Lissitsky lors de l'exposition de 1932. 

Les artistes de l’avant-garde familiers des expositions en Occident comme Chagall, Kandinsky (ceux qui sont partis), Lissitsky, Rodchenko, Malevitch, Popova et Tatline (avec la reconstruction de l’extraordinaire objet volant Letatlin mélangeant Leonard de Vinci et l’utopie avant-gardiste - en russe « letat’ » signifie voler), et dans une moindre mesure Filonov, sont presque tous représentés. 

Letatlin reconstitué par Henry Milner, 2013 @GRAD
Mais l'exposition a aussi le mérite de faire découvrir d’autres artistes moins connus comme Yuon, Petrov-Vodkine, ou des membres de la Société des artistes de chevalet (notamment Deneika, Pimenov ou Sterenberg avec son magnifique Aniska datant de 1926).

David Sterenberg, Aniska, 1926
@Galerie Trétiakov
Aleksandre Deneika, Les ouvrières textiles, 1927
@Musée russe d'Etat de Saint-Pétersbourg
Iouri Pimenov, Football, 1926
@Galerie d'Etat d'Astrakhan
















On y voit aussi des peintres de la "Russie éternelle", comme Kustodiev ou Maliavine, plus célèbres en Russie, même s’ils sont de plus en plus cotés dans les ventes aux enchères d’arts russe et soviétique occidentales. 
Philippe Maliavine, Troika, 1933, Collection privée (le tableau a été vendu 517250 £ par Christie's en 2009).
Par ailleurs, la toile avait été montrée à Londres lors de l'exposition russe en 1935.  
Elle montre aussi, s’il fallait s’en convaincre, que les artistes soviétiques, loin d’être tenus à une seule forme d’art, étaient des créateurs qui pouvaient approcher tout autant les décors de théâtre, les affiches publicitaires, les décors sur porcelaine que la photographie (Rodchenko et Shaiket mais aussi Ignatovitch ou Zelma dont les « hommes de fer » dominant la machine impressionnent). Le cinéma, « l’art le plus important » pour la propagande communiste, n’est jamais loin non plus. L’exposition déroule ainsi en surplomb des œuvres des extraits de films soviétiques. Des films comme La Terre de Dovjenko voisinent ainsi avec des montages beaucoup moins diffusés comme celui sur les fêtes sportives datant du début des années 1930 et destiné au public britannique. Dès les années vingt, les peintres n’hésitaient d’ailleurs pas à utiliser tous les vecteurs artistiques possibles, notamment celui de la littérature jeunesse comme le montre par exemple le parcours artistique d’un Vladimir Lebedev ou David Sterenberg (Cf. la récente exposition de la House of illustration à Londres l’an dernier).
Samuel Marchak, Vladimir Lebedev, Hier et Aujourd'hui, 1928, @GIZ, Moscou
David Sterenberg, Mes Jouets, 1930, @GIZ, Moscou
Aux collections des musées de Saint-Pétersbourg (surtout), de Moscou et d’autres villes soviétiques, s’ajoutent deux formidables séries d’œuvres émanant de collections privées, riches en photographies (collection du marchand d’art Alex Lachmann) et en porcelaines (collection Petr Aven). 
Hermitage, 1929, @Alex Lachmann Collection
Lioudmila Protopopova, 1931 @The Petr Aven collection

Suetin, Petite assiette, 1929, @Petr Aven Collection

Arkady Shakiet, Assemblant le Globe de la Centrale téléphonique de Moscou, 1928
 @Alex Lachmann

Dans ce parcours impressionnant on regrettera cependant une chose. En décidant d’établir une césure en 1932 (à une ou deux exceptions près), les conservateurs donnent l’impression que l’art soviétique de la période du « réalisme socialiste » ne présente plus d’intérêt (hors de l’avant-garde « point de salut » ?). C'est du moins la tonalité retenue par beaucoup d'articles de presse. Bien entendu, le  « réalisme socialiste » a produit d’innombrables croûtes qui ont été admirées et exposées pendant des décennies, mais cela ne fait pas de toutes les œuvres de cette époque des rebuts qu’il faudrait oublier, ne serait-ce que d’un point de vue historique. La plupart des spécialistes de la période pointent les difficultés à définir ce «concept » d’abord et surtout littéraire au départ. Et paradoxalement, le congrès fondateur des écrivains de 1934 réhabilite lui aussi les anciens «compagnons de route » critiqués quelques mois auparavant. Une seule méthode de création, mais des variétés de style sont alors autorisées.
Le « réalisme socialiste », s'interroge Régine Robin, "
est-il une tendance, un style, un courant, une méthode ou une thématique" ? N’est-ce pas plutôt  "un système culturel" reflétant la « "mentalité stalinienne"  ? Dans tous les cas, « aucun modèle réaliste socialiste n’existe en peinture »**.
Dans les jours qui ont suivi mes deux visites à la RA, j’ai découvert les œuvres qualifiées de « réalisme social » de l’artiste américaine Dalhov Ipcar qui vient de décéder à l’âge de 99 ans. Les correspondances entre ses fresques humanistes de la fin du New Deal et des fresques soviétiques des années trente me semblent évidentes. 
Dalhov Ipcar, 1939, "Sur les bords du lac", Fresque pour la poste de La Follette, Tennessee. @United States Post Service
Si certains des artistes majeurs des années vingt ont bien cessé d’explorer de nouvelles formes esthétiques, cela ne fait pas d’eux des artistes mineurs pour autant.
De ce fait, l’exposition laisse aussi penser que les artistes de l'avant-garde du début des années vingt sont soit mis sur la touche, soit profondément désabusés. Or, dans cette histoire tragique, il ne faut pas oublier que le statut de l’artiste en URSS est malgré tout celui de privilégiés. Bien entendu, il y a des aléas en fonction des périodes et des différences liées aux luttes internes entre les groupes. Mais ces privilèges les exposent peut-être encore plus aux compromis et aux purges que les Soviétiques ordinaires (ce qui resterait à analyser en profondeur). Les représentations de Meyerhold dont le beau profil taillé à la serpe a été mis en valeur par de nombreux peintres, photographes et sculpteurs, témoignent de l’importance du metteur en scène sur la scène intellectuelle de son pays jusqu’au milieu des années trente (de nombreux intellectuels étrangers rencontrent alors Meyerhold durant leur séjour). Et quand il meurt en secret en prison en 1940, le metteur en scène se dit toujours communiste. 
Moisey Nappelbaum, Le directeur de théâtre Vsevolod Meyerhold, 1929
@Alex Lachmann Collection
Il ne faut pas sous-estimer les effets des convictions politiques de ces hommes et ces femmes qui, même en proie au doute, même dans la tourmente des purges, se sentent encore profondément soviétiques. 

Par ailleurs, les peintres « réalistes socialistes » qui se spécialisent (par calcul de carrière, par conviction politique, par choix esthétique... ?) dans le culte des dirigeants sont en fait paradoxalement souvent les plus exposés. Je me souviens d’avoir vu à Moscou dans les années 1990 une incroyable exposition d’œuvres censurées des années vingt et trente, dont la majorité concernait des portraits de dirigeants. Plus que des fautes esthétiques, ce que la censure leur reprochait c’était d’avoir peint un « traître », ou de ne pas avoir mis en valeur la personnalité de Lénine ou celle de Staline selon les canons politiques du moment. Le portrait de Lénine dans son cercueil peint en 1924 par Petrov-Vodkine, n’a ainsi quasiment jamais été montré, même s’il décrivait la foule éplorée venue faire une dernière visite à son dirigeant. Paradoxalement, avec l’embaumement du corps de Lénine, il devenait difficile de le représenter véritablement comme décédé. 
Lénine dans son cercueil, 1924, @Galerie Trétiakov (Moscou). 
Enfin, comme le montre d’ailleurs largement l’exposition, le retour au réalisme dans l’art s’effectue dès les années vingt. Au demeurant c'est aussi le cas en dehors de l'URSS. Les tableaux d’un Brodsky dans les années vingt semblent déjà «réalistes socialistes». Figure complexe, Isaak Brodsky est un artiste fêté, mais dont une partie des tableaux ont été détruits. Par ailleurs, recteur de l’Académie des Beaux-Arts à partir de 1934, il utilise sa position pour protéger des artistes persécutés, tout en collectionnant les œuvres de l’avant-garde. 
Ouvriers de choc sur le chantier du Dnieprostroï, 1932
@Académie russe des Beaux-arts, Saint-Pétersbourg
Lénine à Smolny, 1930,
@Galerie Tretiakov
Vladimir Lénine et une manifestation, 1919, @Musée d'Etat russe de Moscou
Clément Vorochilov sur en promenade à Ski, 1937, @Musée des Armées, Moscou (la toile a été exposée à l'exposition universelle de Paris en 1937).
Cependant, même après 1933, les artistes présents dans l’exposition n’ont pas tous adopté le style «prolétarien» des membres de l’Association des Artistes de la Russie révolutionnaire (AKhR). 


Chez Petrov-Vodkine, le cavalier au cheval rouge plein d’espoir de  1912, répond bien à celui désabusé de 1925 dont le regard n’est plus porté vers l’avenir radieux mais vers le passé (sorte de représentation inversée de « La cavalerie rouge » de Malevitch). 
Le bain du cheval rouge, @Galerie Trétiakov
Fantaisie, 1925, @Musée d'Etat russe de Saint-Pétersbourg
L’artiste continue à occuper jusqu’à sa mort (de tuberculose en 1939) une place importante dans le paysage artistique de son pays, même s’il est contesté. C’est en 1932 qu’il prend la tête de l’Union des artistes de Leningrad et il est alors l’un des enseignants majeurs de l’époque, maître d’une école de Leningrad qui porte son nom et compte des peintres comme Alexeï Pakhomov parmi ses disciples (la composition du beau paysage de « La moisson » de 1925, semble répondre à la toile de 1917 de Petrov-Vodkine intitulée « Midi. Été»). 
Midi. Été, 1917 @Musée russe d'Etat de Saint-Pétersbourg
Quelques mois avant son brusque décès, en 1938, on lui confie par ailleurs le grand projet des fresques pour le futur Palais des Soviets.
Or, en regardant les œuvres de Petrov-Vodkin, comme pour Brodsky, on peut avoir du mal à les dater tant son style reste profondément symboliste jusqu’à la fin des années trente. Ses toiles des années trente ressemblent à celles d’avant la Révolution, même si les thèmes religieux s’effacent (à moins de considérer ses représentations de Lénine comme de nouvelles icônes). 

Fleur de cerisier dans un verre, 1932,
@Musée russe d'Etat de Saint-Pétersbourg
Nature morte à l'encrier, 1934
Quant on regarde son « Printemps » peint en 1935, on n’a pas vraiment l’impression qu’un cadre formel officiel très strict a modifié son tracé. La réflexion sur l’espace, qui rappellerait presque par moment les collines toscanes d’un Giotto, paraît inchangée. 
Le printemps, 1935, @Musée russe d'Etat de Saint-Pétersbourg
Au cinéma, les studios du Mejrabpom arrivent encore à produire l’incroyable Au bord de la mer bleue de Boris Barnet réalisé en 1935 (quand bien même le film est peu diffusé en 1936); en 1937 Le Pré est censuré et Sergueï Eisenstein fait son autocritique, mais l'année suivante il est officiellement célébré pour son Alexandre Nevski (même s'il ne pourra finir son Ivan Le Terrible). Même en littérature, en lisant par exemple Ilf et Petrov, des auteurs que j'adore, on ne peut être frappé par le ton critique et la liberté de style d’une partie de leurs nouvelles, et cela même après 1934. Pour autant, le suicide d'Ilf est lié en partie au carcan formel qui s’abat sur les deux auteurs. 
Les choses sont en fait toujours complexes, même après 1933. 

L’exposition de la Tate en novembre prochain qui couvre toute la période de la Révolution à la mort de Staline, évoquera peut-être encore mieux la mesure de cette complexité en nous faisant découvrir plus largement le parcours d'artistes soviétiques encore mal connus en Occident. 

* Sur Nikolaï Pounine on peut lire Nathalie Murray, The Unsung Hero of the Russian avant-garde. The life and time of Nikolay Punin, Brill academic Publishers, 2012. Nathalie Murray est l'une des conservatrices de l'exposition de la RAA. 
**Tous les passages entre guillemets sur le réalisme socialiste sont issus de la thèse de Cécile Pichon-Bonin (Peinture et politique en URSS. L'itinéraire des membres de la Société des artistes de chevalet, les presses du réel, 2013). Elle se réfère en particulier aux travaux de Régine Robin et Léonid Heller.